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🎶 "Mwen Domi Dewò" : La bande-son désenchantée des rêves antillais en France

Une chanson mythique née en 1975

Parue en 1975, la chanson "Mwen Domi Dewò" (que l’on peut traduire par "J’ai dormi dehors") du groupe Super Combo, est aujourd’hui considérée comme une œuvre culte dans l’imaginaire antillo-guyanais. Ce morceau emblématique raconte, en créole, la dure réalité vécue par de nombreux ultramarins venus s’installer en France hexagonale dans l’espoir d’une vie meilleure.

Bien plus qu’un simple titre musical, "Mwen Domi Dewò" est le témoignage chanté d’une génération déracinée, marquée par l’exil, la désillusion et la solitude.

🛫 Le rêve français : une promesse déçue

Dans les années 1960 et 1970, pour de nombreux Antillais, la France hexagonale est perçue comme une terre promise. Une illusion nourrie par les discours officiels, les images de modernité et les promesses d’emplois stables. Pour canaliser les tensions sociales et les aspirations indépendantistes croissantes dans les départements d’Outre-mer, l’État français met en place en 1963 le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-Mer).

Le but : organiser l’émigration des jeunes Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais vers la métropole, sous prétexte de formation professionnelle et de reconstruction nationale.

Mais très vite, la réalité s’impose : logements insalubres, emplois précaires, racisme ordinaire et solitude dans un pays froid et indifférent. Les jeunes migrants se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, sans véritable accompagnement ni reconnaissance.

❄️ Un récit de galère chanté en créole

"Mwen Domi Dewò", littéralement « j’ai dormi dehors », évoque de façon brute et poignante le quotidien d’un jeune Guadeloupéen fraîchement débarqué à Paris. Le choc est violent : la France rêvée se transforme en cauchemar glacial. Le froid, l’hostilité des Parisiens, le manque d’argent, l’absence de toit : tout est chanté avec une sincérité désarmante.

« La France, c’est un réfrigérateur »
— dit l’un des vers les plus marquants, qui résume à lui seul le décalage entre la chaleur humaine des îles et la froideur urbaine de la capitale.

Ce réfrigérateur est aussi une métaphore sociale et psychologique : il traduit la froideur des relations humaines, la sensation d’emprisonnement, voire d’étouffement, dans un pays où les Antillais, souvent relégués aux marges, n’ont pas de perspectives réelles d’ascension sociale.

🧊 Le "réfrigérateur France" : une image forte

L’image du réfrigérateur renvoie à plusieurs niveaux de lecture :

  • Température : le froid hivernal auquel ne sont pas préparés les jeunes insulaires.

  • Isolement : une société distante, peu accueillante, souvent méprisante.

  • Oppression : une atmosphère pesante, comme une prison blanche où les rêves d’intégration s’éteignent.

  • Échec : des promesses non tenues, des attentes brisées, des carrières avortées.

Ce constat amer fait écho à de nombreuses trajectoires individuelles : dépression, mal du pays, discriminations à l’embauche, mais aussi renoncements identitaires, avec l’obligation implicite de renier son créole, sa culture, son accent, pour tenter de "s’intégrer".

🎧 Une œuvre du label Disques Debs : la mémoire musicale des Antilles

"Mwen Domi Dewò" est produit par Disques Debs, le mythique label guadeloupéen fondé par Henri Debs. Véritable pilier de la scène musicale caribéenne, ce label a su capter et diffuser les voix, les luttes et les espoirs des Antilles à travers le monde.

Grâce à Disques Debs, des titres comme "Mwen Domi Dewò" ont pu franchir les frontières et s’imposer comme des morceaux identitaires, témoins d’un pan trop souvent oublié de l’histoire post-coloniale française.

🧳 Bumidomiens : l'exil sans retour ?

Les "Bumidomiens", ces hommes et femmes partis de force ou volontairement, forment une génération sacrifiée. Coincés entre deux mondes, ils n'ont jamais été complètement acceptés en France, ni tout à fait retrouvés dans les Antilles qu'ils ont quittées.

"Mwen Domi Dewò" exprime ce désenchantement douloureux, cette impression d’errance entre deux identités. Le jeune homme qui croyait trouver à Barbès un quartier plein de vie découvre une réalité morne, faite de marginalité. Il n'est plus chez lui nulle part.

🎤 Héritage et résonance contemporaine

Presque 50 ans plus tard, "Mwen Domi Dewò" reste d’une puissante actualité. Dans un contexte où les descendants des Bumidomiens revendiquent leur histoire et leurs droits, cette chanson redevient un marqueur identitaire fort. Elle est aussi l’un des rares témoignages culturels d’une migration organisée par l’État, aux conséquences souvent dramatiques.

Dans un monde où les jeunes ultramarins continuent de partir étudier ou chercher du travail en France, souvent confrontés aux mêmes défis qu’en 1975, "Mwen Domi Dewò" résonne comme un avertissement poétique et politique.

📚 Sources & Références

  • La chanson Mwen Domi Dewò – Super Combo (Disques Debs, 1975)

  • Archives du BUMIDOM – INA & Ministère des Outre-Mer

  • Le Gang des Antillais, film de Jean-Claude Barny (2016)

  • Collectif DOM, Mémoire de l’exil antillais

  • La musique antillaise à travers Disques Debs – France Culture

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