Guy Konket : le poĂšte insoumis du Gwoka moderne
Dans la grande histoire du Gwoka, ce tambour battant de lâĂąme guadeloupĂ©enne, certains noms traversent le temps comme des Ă©clairs de luciditĂ© et de rĂ©volte. Guy Konket, ou parfois orthographiĂ© KonkĂšt, ConquĂȘte ou Conquette, est de ceux-lĂ . Ă la fois musicien, chanteur, poĂšte et chroniqueur social, il incarne une tournant dĂ©cisif dans la vie du Gwoka : son entrĂ©e en modernitĂ©, sans jamais renier ses racines.
Une enfance entre la canne et les chants
NĂ© en 1950 Ă Baie-Mahault, Guy Konket grandit dans une Guadeloupe encore marquĂ©e par les sĂ©quelles de lâesclavage et du colonialisme. Fils de Man Soso, grande figure fĂ©minine du Gwoka, chanteuse, danseuse et ouvriĂšre des champs de canne, il est trĂšs tĂŽt plongĂ© dans la culture populaire et paysanne guadeloupĂ©enne. Ă ses cĂŽtĂ©s et auprĂšs de maĂźtres comme Carnot, Loyson, il apprend le chant traditionnel, les rythmes du Ka, le sens du lĂ©woz, ces veillĂ©es dansĂ©es oĂč la communautĂ© partage plus que de la musique : une mĂ©moire.
Modernisateur du Gwoka
Ă une Ă©poque oĂč le Gwoka est mĂ©prisĂ© par les Ă©lites locales, qualifiĂ© de "musique de vieux nĂšgres", Guy Konket ose faire monter le Ka sur scĂšne, le mĂȘler Ă de nouveaux instruments, et surtout, Ă de nouveaux enjeux. Il introduit saxophone, guitare basse, piano, flĂ»te, synthĂ©tiseur, tout en respectant la rigueur rythmique du Gwoka traditionnel. Le rĂ©sultat est un mĂ©tissage inĂ©dit, parfois qualifiĂ© de "gwoka jazz", oĂč lâimprovisation vocale et instrumentale devient un terrain d'expression sociale.
Voix dâun peuple, chroniqueur dâun pays
Mais Guy Konket ne sâarrĂȘte pas Ă lâinnovation musicale. Il devient rapidement la voix du peuple guadeloupĂ©en, traducteur de ses espoirs, ses colĂšres, ses douleurs. Ses textes sont Ă la fois improvisĂ©s et lucides, souvent empreints d'humour grinçant et de dĂ©rision crĂ©ole, mais aussi de rĂ©volte viscĂ©rale. Il aborde la misĂšre, le chĂŽmage, lâinjustice, le racisme, les abus de pouvoir. Sa plume est une arme.
Sa chanson "La Gwadloup Malade" en est lâexemple le plus frappant : censurĂ©e par les autoritĂ©s coloniales, elle deviendra pourtant lâhymne officieux des Ă©meutes de mai 1967, moment charniĂšre dans lâhistoire contemporaine de la Guadeloupe. Des dĂ©cennies plus tard, le rappeur Foxy Myller en reprend le flambeau avec le titre "Alo Gwada Bobo", citant Guy Konket pour rappeler que la parole contestataire du Ka est toujours vivante :
"La Gwadloup sé tan nou / MÚ sa sé an gÚl sÚlman"
("La Guadeloupe est Ă nous / Mais ce ne sont que des mots")
Du militantisme Ă lâinternational
Sans jamais se revendiquer dâun parti, Guy Konket est un militant indĂ©pendantiste dans lâĂąme. Il refuse les Ă©tiquettes mais ne recule jamais devant lâengagement. DĂšs les annĂ©es 60, il insuffle dans le Gwoka une conscience politique sans prĂ©cĂ©dent, et transforme le tambour en instrument de combat social.
En 1975, il part en tournĂ©e Ă Paris, ouvrant le Gwoka Ă la scĂšne internationale, oĂč il cĂŽtoie des musiciens de jazz et participe Ă des Ă©changes artistiques entre Afrique, CaraĂŻbe et diasporas. Son approche hybride anticipe ce que feront plus tard des musiciens comme Jacques Schwarz-Bart, Sonny TroupĂ© ou Klod Kiavue : relier lâoralitĂ© caribĂ©enne aux formes modernes du monde.
Un héritage vivant
JusquâĂ ses derniers jours, Guy Konket nâaura cessĂ© de dĂ©fendre le Gwoka comme vecteur de dignitĂ© et de mĂ©moire. Son Ćuvre, encore mĂ©connue du grand public français, est aujourdâhui redĂ©couverte par les nouvelles gĂ©nĂ©rations de musiciens et militants antillais.
Il aura Ă©tĂ©, comme Frantz Fanon lâappelait de ses vĆux, un de ces artistes capables de "mettre la culture au service de la libĂ©ration". Dans ses paroles comme dans son souffle, il y avait lâĂźle toute entiĂšre, entre rage, rire, tendresse et rĂ©bellion.
Conclusion
Guy Konket nâa pas simplement modernisĂ© le Gwoka : il lâa rĂ©veillĂ©, armĂ©, et propulsĂ© dans lâavenir. Par sa musique, il a fait vibrer les tambours de ses ancĂȘtres avec la rage de son Ă©poque. Et dans chaque battement de Ka, on entend encore aujourdâhui lâĂ©cho de sa voix insoumise.
đ Sources & inspirations :
TĂ©moignages dâartistes contemporains guadeloupĂ©ens (K. Kiavue, S. TroupĂ©, J. Schwarz-Bart)
Reportages sur MĂ© 67 et la censure musicale en Guadeloupe
Archives sonores et documentaires de Canal 10 et RCI
Analyse de "La Gwadloup Malade" et du rap "Alo Gwada Bobo"
Ătudes sur la modernisation du Gwoka (revue Africultures, travaux du CRILLASH)



