Maryse Condé : l’une des plus grandes voix de la littérature caribéenne et francophone
Maryse Condé occupe une place fondamentale dans l’histoire littéraire contemporaine. Journaliste, professeure de littérature et romancière de renommée mondiale, elle a fait entendre, avec force et sensibilité, les voix de la Caraïbe, de l’Afrique et de la diaspora. Par son œuvre, elle a raconté l’esclavage, le colonialisme, l’exil et les identités plurielles nées des traversées de l’Atlantique. Son écriture a ouvert des chemins de mémoire, d’histoire et de compréhension du monde.
*vidéo réalisé avant son décès
Une enfance guadeloupéenne nourrie par les livres
Née Maryse Liliane Appoline Boucolon en février 1937 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, elle grandit dans une famille où l’éducation et la culture occupent une place centrale. Très jeune, elle développe une passion pour la lecture.
À 16 ans, elle quitte son île pour la métropole et poursuit des études littéraires à la Sorbonne, à Paris. Comme Paulette Nardal avant elle, elle y découvre les grands textes de la pensée noire. La lecture du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire est un choc. Elle y reconnaît sa propre condition de « colonisée ». Cette conscience politique deviendra le socle de son œuvre.
L’Afrique : espoir, immersion et désillusion
En 1959, elle épouse le comédien guinéen Mamadou Condé et part s’installer en Guinée, puis au Ghana et au Sénégal, où elle enseigne le français. Mère de quatre enfants, elle vit au cœur des indépendances africaines en construction : un moment d’espoir immense, mais aussi d’illusions brisées.
De cette période naît Hérémakhonon (1976), son premier roman, qui raconte la désillusion face au régime autoritaire de Sékou Touré. C’est à son retour en France qu’elle entre à la rédaction de Présence Africaine, lieu majeur de pensée anticoloniale.
Une carrière littéraire de portée mondiale
En 1981, Maryse Condé épouse Richard Philcox, qui deviendra le principal traducteur de son œuvre vers l’anglais.
En 1984, elle publie Ségou, grande fresque romanesque retraçant la chute d’un empire africain sous la pression de l’esclavage, des prosélytismes religieux et de la colonisation. Le livre rencontre un succès mondial et inscrit définitivement son nom dans la littérature.
Elle obtient en 1985 une bourse Fulbright et part enseigner aux États-Unis, notamment à l’Université Columbia, où elle fondera plus tard le Centre des études françaises et francophones.
Sa vie se déroule dès lors entre Guadeloupe, Paris et New York, dans ce mouvement transatlantique qui structure son imaginaire littéraire.
Une œuvre puissante, traversée par la mémoire
Maryse Condé a écrit plus d’une trentaine d’ouvrages, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels :
Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem (1986)
La Vie scélérate (1987)
Célanire cou-coupé (2000)
Histoire de la femme cannibale (2003)
L’Évangile du nouveau monde (2021)
Ses écrits interrogent :
les ravages du colonialisme,
les traumas de l’esclavage,
les fractures du post-colonial,
la créolité, l’identité diasporique, l’origine et le retour.
Elle ne cesse de donner voix à celles et ceux que l’Histoire a invisibilisés.
Une reconnaissance internationale… mais tardive en France
Maryse Condé a reçu de nombreuses distinctions :
Prix Carbet de la Caraïbe (1997)
Grand Prix du roman métis (2010)
Prix mondial Cino del Duca (2021)
Grand Prix littéraire de la Femme (1986)
Prix Marguerite-Yourcenar (1999)
Elle fut également la première femme à recevoir le Prix Putterbaugh aux États-Unis.
En 2018, elle obtient le Prix Nobel alternatif de littérature, décerné par la Nouvelle Académie.
Elle déclarait alors :
« Tous les prix pour lesquels j’ai été nominée ou que j’ai reçus proviennent de l’étranger. Jamais la France ne m’a honorée ainsi. »
Ses mots disent l’injustice, mais aussi la puissance de sa voix.
Un héritage désormais inscrit dans la mémoire collective
Six mois après sa disparition, un hommage national lui est rendu le 15 avril à la Bibliothèque nationale de France, en présence du président de la République, de proches, d’écrivains et d’artistes. Tous saluent la femme qui a fait exister la Caraïbe dans la littérature mondiale.
Mais c’est en Guadeloupe que l’hommage prend une dimension unique :
l’aéroport de Pointe-à-Pitre porte désormais son nom et devient Aéroport Guadeloupe – Maryse Condé.
Les autorités soulignent qu’il s’agit du premier aéroport en France à porter le nom d’une femme noire — un geste historique, symbolique, politique.
Un nom qui accueille les départs, les retours, les exils et les retrouvailles.
Un nom pour dire que la mémoire caribéenne compte, dans le ciel du monde.
Maryse Condé a construit une œuvre-monde. Une œuvre qui relie les continents, les histoires, les douleurs et les forces. Une œuvre qui nous rappelle que la Caraïbe n’est pas périphérique, mais centrale. Elle a fait de la littérature un territoire de vérité. Son nom, désormais, ne s’effacera plus.




