Jean Price-Mars, pionnier de l’ethnologie haïtienne et inspirateur de la négritude
Jean Price-Mars (1876-1969) demeure l’une des figures intellectuelles les plus marquantes d’Haïti et du monde noir au XXᵉ siècle. Médecin de formation, ethnographe, diplomate, pédagogue et écrivain, il a consacré sa vie à réhabiliter l’héritage africain dans la société haïtienne et à défendre la dignité des peuples noirs face aux préjugés coloniaux.
Une trajectoire intellectuelle au service de l’identité haïtienne
Né le 15 octobre 1876 à la Grande-Rivière-du-Nord, Price-Mars entame une carrière médicale avant de se tourner vers la diplomatie et la recherche. Il est ambassadeur d’Haïti dans plusieurs pays et professeur d’université, mais son influence dépasse largement ces fonctions.
Dans un contexte marqué par l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), il devient l’une des voix les plus fortes pour rappeler aux Haïtiens leur histoire, leur héritage et la nécessité de préserver leur indépendance culturelle.
Ainsi parla l’oncle : une œuvre fondatrice
En 1928, Price-Mars publie son essai majeur, Ainsi parla l’oncle, considéré comme l’acte de naissance de l’ethnologie haïtienne. Dans ce texte, il critique le mépris de l’élite haïtienne pour les traditions populaires et appelle à reconnaître la valeur du vodou, des pratiques culturelles rurales et de la mémoire africaine.
Il écrit :
« Nous n’avons de chance d’être nous-mêmes que si nous ne répudions aucune part de l’héritage ancestral. »
Cette affirmation s’inscrit dans un vaste projet de réhabilitation des racines africaines et de dénonciation de la domination culturelle exercée par l’Occident.
L’influence sur la négritude et les mouvements noirs
L’impact de Ainsi parla l’oncle a dépassé les frontières haïtiennes. Des intellectuels africains et caribéens, parmi lesquels Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, s’en inspirent pour fonder le mouvement de la négritude dans les années 1930 à Paris.
Pour Senghor, Price-Mars fut le véritable « père spirituel » de la négritude, car il fut l’un des premiers à affirmer la nécessité pour les Noirs de s’assumer pleinement et de revendiquer leur héritage africain. Césaire expliquait à ce sujet :
« La négritude est un mouvement qui affirme la solidarité des Noirs de la diaspora avec le monde africain. »
Ainsi, Price-Mars a contribué à l’émergence d’une conscience noire universelle, à la fois littéraire, politique et culturelle.
Un savant aux multiples contributions
L’œuvre de Price-Mars est d’une grande diversité :
En ethnologie, il fonde une véritable école de pensée haïtienne, centrée sur l’étude des pratiques populaires.
En histoire et en sociologie, il relie les luttes du passé haïtien à la nécessité de résister aux impérialismes contemporains.
En diplomatie, il représente Haïti à l’international, plaidant pour la reconnaissance des peuples noirs dans le concert des nations.
Par son approche pluridisciplinaire, il a ouvert la voie à de nouvelles perspectives dans les sciences sociales haïtiennes et caribéennes.
Héritage et reconnaissance
Jean Price-Mars est décédé le 1er mars 1969, laissant derrière lui une œuvre qui continue d’inspirer chercheurs, écrivains et militants. Ses travaux sont aujourd’hui étudiés dans le cadre des études postcoloniales, de l’anthropologie et de l’histoire de la pensée noire.
Il a contribué à donner une légitimité scientifique à la culture populaire haïtienne et à inscrire Haïti comme un foyer majeur de la pensée noire mondiale.



