Gwoka en Guadeloupe : Qui était Vélo le précurseur d’un art devenu patrimoine ?
Figure emblématique de la culture guadeloupéenne, Marcel Lollia, surnommé Vélo, reste à ce jour l’un des plus grands tambouyés (joueurs de tambour) de l'histoire de la Guadeloupe. Bien plus qu’un simple musicien, il a été le moteur de la démocratisation du Gwoka, cette musique née dans la douleur de l’esclavage mais devenue un pilier de la résistance culturelle créole.
Le Gwoka : une musique de l’âme et de la terre
Le Gwoka est un genre musical profondément enraciné dans l’histoire de la Guadeloupe. Héritée des esclaves africains, cette musique repose sur le tambour Ka, le chant, la danse et l’improvisation. Longtemps marginalisé et considéré comme une musique « à Vyé Nèg » (vieux nègres), le Gwoka est aujourd’hui reconnu comme un trésor culturel, inscrit depuis 2014 au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
C’est dans ce contexte de résistance et de transmission orale que s’inscrit l’œuvre de Vélo.
Une enfance modeste, un destin exceptionnel
Né le 7 décembre 1931 à Pointe-à-Pitre, dans une famille très modeste, Marcel Lollia est le fils de Lisette Téatin et de Vénance Lollia, ouvriers à Darbousier. Très tôt, il est plongé dans l’univers des rythmes traditionnels : son père joue de l’accordéon dans les soirées de Gwo Tanbou.
Autodidacte, analphabète mais génie rythmique, il apprend le tambour sans lire une seule partition. Son oreille, son instinct et sa sensibilité deviennent ses seuls maîtres. Il est initié au tambour par le grand maître François Mauléon, dit Carnot, dans le quartier du Carénage. Vélo devient rapidement un musicien de rue, reconnu pour son intensité, son sens du rythme et son phrasé musical unique, à la fois brut et poétique.
Démocratiser le Gwoka : une mission de vie
Dans les années 60, Vélo joue dans les cours populaires de Pointe-à-Pitre, souvent accompagné d’Arthème Boisbant ou encore de Napoléon "Napo". Il participe aux fêtes communales et anime les rues. À cette époque, le Gwoka est encore réprimé par la police, perçu comme une musique subversive et infréquentable, une musique à “Vyé Nèg’ ”.
Mais Vélo ne lâche rien. Son art, sa foi dans le Gwoka et son charisme naturel attirent les foules. Il réussit peu à peu à faire entrer le Gwoka dans la ville, brisant les barrières sociales et les préjugés raciaux. Pour beaucoup, il a sorti le Gwoka des campagnes pour en faire une musique visible, audible et légitime dans l’espace public.
Une reconnaissance au-delà des frontières
À la tête du groupe La Briscante, Vélo se produit brièvement à Paris, en Martinique et même à Porto Rico. Il enregistre aussi des disques, notamment avec le groupe Takouta dans les années 70, et collabore avec le producteur Guy Conquette. En 1978, il participe aux débuts du célèbre groupe Akiyo, mais le quitte peu après.
Son parcours reste marqué par la précarité : il vit sans logement fixe, avec très peu d’argent, errant avec son tambour dans les rues, sa musique comme seule richesse.
La fin d’un parcours, le début d’une légende
Affaibli par une maladie du foie, Vélo s’éteint le 5 juin 1984. Ses funérailles populaires rassemblent une foule immense. Il entre dès lors dans la mémoire collective guadeloupéenne comme l’un des plus grands maîtres Ka de son temps.
Son héritage est entretenu par les jeunes générations de tambouyés, mais aussi par des groupes comme Akiyo, Nasyon a Nèg Mawon, ou Mas Ka Klé, qui continuent de faire vivre le Gwoka dans les rues et les déboulés.
Hommages et mémoire
Le 5 juin 2004, vingt ans après sa mort, le mouvement Akiyo inaugure une statue en bronze à son effigie, réalisée par Jacky Poulier, sculpteur du boulevard des Héros (Solitude, Delgrès, Ignace…). Située rue Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre, face au marché, elle symbolise la place unique de Vélo dans l’imaginaire guadeloupéen.
Malgré plusieurs dégradations, la statue a été restaurée puis réinaugurée le 7 décembre 2014, jour anniversaire de sa naissance, lors d’un grand déboulé populaire.
💬 Une phrase restée dans l’Histoire
« Par l’esclavage, nous avons beaucoup subi, mais avec le Gwo Ka, nous finirons de subir un jour. »
— Marcel Lollia, dit Vélo
Cette citation résume à elle seule l’engagement artistique, culturel et politique de Vélo : le Gwoka comme acte de réappropriation, de guérison, et de liberté.
Héritage vivant
Aujourd’hui, chaque samedi matin à Pointe-à-Pitre, des tambouyés se rassemblent pour jouer du Ka en hommage à Vélo. Son nom reste sur toutes les lèvres dès qu’il s’agit d’évoquer l’histoire du Gwoka.
Par son talent brut, sa force de transmission et son humilité, Marcel Lollia a marqué la Guadeloupe au fer rouge du tambour.
Il n’était pas un homme de discours, mais chaque frappe sur le Ka était un manifeste. Vélo n’a pas seulement joué du tambour. Il a incarné une mémoire, une lutte, une culture.
📚 Sources
Témoignages culturels et archives locales (Akiyo, presse régionale)
Ministère de la culture (dossiers UNESCO)
Interventions d’historiens du patrimoine immatériel antillais
Association Nasyon a Nèg Mawon / Archives sonores du Gwo Ka